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Compte-rendu de l'intervention de Laurent Nicolas

Crédit photo : Justine Rouan

Crédit photo : Justine Rouan


Laurent Nicolas, ancien consultant en communication numérique au sein de l’agence de La Netscouade crée en 2007, a réalisé avec cette dernière, la campagne municipale de plusieurs candidats du parti socialiste aux élections de mars 2014. Aujourd’hui, collaborateur parlementaire de Philippe Doucet, député PS du Val d’Oise, il est venu nous présenter le 31 octobre dernier le logiciel Nation Builder afin de nous faire comprendre les enjeux d’intégration de cet outil au sein d’une stratégie de campagne, ainsi que partager sa passion de la politique.
La Netscouade est une agence digitale pionnière du web social mais aussi leader en innovation, en communication d’influence et rich media. Elle produit également des outils web et mobile. L’agence, ambitieuse, qui avait accompagné Ségolène Royal lors de la campagne de 2007 décide de s’engager dans une campagne importante : celle des municipales de 2014. L’agence a pris en charge la campagne de plusieurs candidats PS lors des municipales dont Patrick Menucci, candidat PS à la mairie de Marseille. Fanny Conesa ancienne étudiante du master communication publique et politique a contribué en tant que stagiaire. Elle a rejoint Laurent Nicolas à la fin de son intervention pour évoquer les limites du Nation Builder dans un débat avec la promotion.
L’intervention de Laurent Nicolas s’est décomposée en trois parties. Dans un premier temps, Laurent Nicolas nous a expliqué les raisons pour lesquelles La Netscouade s’est lancée dans les campagnes électorales. Il nous a ensuite présenté les offres en matière de stratégie de communication que la Netscouade a mis en place, ainsi que l’outil Nation Builder. Enfin, à la fin de l’intervention, Fanny Conesa l’a rejoint pour engager une discussion en forme de questions réponses avec les membres de la promotion du master. Le compte-rendu se présentera sous forme de questions réponses afin d’éclaircir les propos de nos deux intervenants.

Pour quelles raisons La Netscouade se tourne t-elle vers les campagnes électorales?

Les campagnes sont des catalyseurs de création : « On est obligés de produire. C’est à la fois passionnant stimulant mais aussi stressant » estime Laurent Nicolas.  Un certain virus de la politique s’est emparé de l’agence malgré le fait que cette activité bien qu’enrichissante ne constitue pas un gain financier. Ce genre de campagne est un moment où tout s’accélère : les ambitions, les idées, le nombre de personnes impliquées augmentent au fur et à mesure que la campagne avance. Laurent Nicolas résume en une phrase« Tout augmente sauf le temps ».

Comment La Netscouade a mis en place l’offre de « Community Building » et le « Data driven campaign » ?

L’idée, nous explique Laurent Nicolas, était d’être très innovant et bannir la page Facebook ainsi que le site web, vu et revu. Il fallait alors trouver quelque chose de différent depuis Obama qui a révolutionné les méthodes de collecte de données. La question était :

Qu’est-ce qu’on met dans cette offre ? 

Le mouvement du « big data » a été une tendance lourde et le mot devient même un « buzz word ». Il a eu un impact sur la population. La grande leçon d’Obama et du « community building » est de construire des échelles progressives : faire du conseil classique (changement des organisations), réintroduire des logiciels ad hoc, construire de véritables systèmes d’information pour une campagne électorale et utiliser le Nation Builder.

Le Nation Builder

La Nation Builder est un outil numérique de marketing électoral utilisé lors de la campagne des municipales. Le but était de mobiliser une base militante dans chaque ville afin que celle ci puisse devenir un relais d’informations auprès d’autres électeurs pour promouvoir le programme du candidat.
Expert en « Nation Builder », Laurent Nicolas nous a alors présenté les différentes étapes de cette nouvelle méthode de collecte d’informations : il faut savoir que le « Nation Builder » est un outil de gestion de base de données, il permet une collecte de données sociales et l’envoi de communications utiles.
Le but est d’enregistrer des données publiques ainsi que de créer un historique d’interaction avec la page Facebook. Par exemple avec “le like” il est possible d’e attribuer des rôles et des objectifs à des militants qui se caractérisent par l’envoi de SMS, de mails.
Parallèlement, il s’agit de tenter de rendre l’action de campagne plus efficiente avec notamment la mise en place du porte-à-porte, et de sms efficaces. Il fallait effectuer un meilleur ciblage au fur et à mesure de la campagne pour consolider un socle de personnes qui seront réellement impliquées.
Trois actions ont été mises en oeuvre: engranger des données c’est-à-dire des « like, repérer les militants assidus dans les réunions publiques ou les meetings politiques, et ainsi les solliciter pour (re)tweeter ». L’objectif était de recruter la base militante.
Pour être plus concret Laurent Nicolas nous présente alors deux exemples. Il prend d’abord l’exemple d’un militant déjà convaincu.
L’objectif est de l’amener plus loin dans son engagement. C’est grâce au Nation Builder qu’on pourra y arriver. Il faut tout d’abord faire le point sur les militants les plus « scorés » (un fort taux de « like », une présence dans les réunions politiques). Pour leur donner de la rétribution ils sont nommés responsables d’une cellule de sous quartier. Ils sont  formés, avec des objectifs de recrutement de militants. Cette technique, pourtant bonne sur le papier n’a pas toujours marché du fait de politiques de secteurs qui ne font pas d’effort ou qui ont peu d’intérêt et d’élan. Certains responsables locaux se sentant aussi dépossédés de leur valeur dans la localité.
Le deuxième exemple est purement numérique. La question est de savoir comment on fait pour transformer un « like » en vote ?
Les points de contacts ne sont plus seulement physiques mais virtuels grâce aux espaces numériques. La première étape est d’identifier les « trolls » (personnes postant des messages via les réseaux sociaux ou les pages web à caractère polémique afin de déstabiliser son destinataire) mais aussi les soutiens. Pour Laurent Nicolas, le nombre de “like” n’a aucun intérêt, ce qui compte c’est de le transformer en voix. L’envoi de mails, de remerciements, de sollicitations à participer sur le terrain suivies d’invitations à un événement politique sont des moyens pour mobiliser un militant.
Le but est d’envoyer des messages accrocheurs, demander de re-tweeter, et de participer pour toucher le plus en plus de monde, et élargir l’audience.

Le problème de l’exploitation des données 

L’exploitation des donnés est bien différente en France par rapport aux Etats-Unis, où l’usage des données va très loin dans l’historique des achats bancaires, des données médicales. Une base de données de numéros de portables peut également, être facilement créee.
En France, il existe un cadre réglementaire contraint : le « data mining » intrusif est impossible. Cependant les données sont de plus en plus visibles, l’open data, l’analyse sémantique (les croisements dans le contenu de commentaire Facebook/Twitter), et l’historique d’achat devienant de plus en plus piratable. Les agences ont de plus en plus recours a l’open data car cela revient moins cher, mais l’open data va de plus en plus se frotter aux limites du droit.

Qu’est ce que le « community building »?

« Une structure managériale de la campagne est primordiale » affirme Laurent Nicolas.
Une relation managériale doit être crée avec le chef de quartier, c’est la personne en charge des militants de quartier. Il a un rôle important car il doit savoir gérer des militants parfois désorganisés. Il doit tenter de leur faire comprendre l’importance de la collecte de données, la portée stratégique à la mise en place d’un porte-à-porte efficace afin de toucher le plus d’électeurs possible. Mais Laurent Nicolas souligne et regrette la diminution croissante de militants. Pour lui, il faudrait renforcer la base militante tout au long de l’année et non pas seulement le temps d’une campagne. En comparant avec les Etats-Unis, il conclut qu’en France il est impossible de faire une campagne hors parti, c’est-à-dire une campagne où les militants ne sont pas inscrits dans un cercle militantisme ou adhérents à un parti.
En effet, en France, il n’y a pas de mouvement d’organisation de campagne qui supplante le parti. Le cas Royal en est le parfait exemple, lorsqu’ en 2007 l’ex-candidate à la présidentielle a tenté de créer une autre vision du militantisme avec la création du site forum « Désir d’avenirs ». Elle a tenté de construire un socle de militants en dehors du parti mais elle a crée parallèlement d’énormes tensions avec l’appareil du parti se sentant exclu.

Question débat : construire une nouvelle expérience du militantisme en France, est-ce possible ?

Il faut aussi proposer une autre expérience du militantisme hors campagne. Mobiliser les militants tout au long de l’année pour gagner un socle moderne à réveiller au moment du décollage de la campagne. Il faut revoir, faire évoluer le code électoral français en terme de communication tout en faisant attention à la propagande.
Laurent Nicolas appelle à l’innovation : les spots de campagne pour les présidentielles sont déprimants. Il faut moderniser et libérer des énergies créatives.
Laurent Nicolas affirme que d’autres actions sont à faire aujourd’hui. On demande au militant d’être performant sur des actions de porte à porte, ou sur l’utilisation de l’outil Nation Builder (collecte de données). Ces tâches sont des passages obligés et parfois un peu ingrates. Cependant le fait de se sentir investi dans une nouvelle démarche militante est très enrichissant mais il faudrait donner aux militants la possibilité de se servir de nouveaux outils pour qu’ils soient plus efficaces.
Après cette intervention très intéressante un débat s’est ouvert sur le rôle du militant au sein des campagnes. Va t-on vers une professionnalisation du militant ? Comment rendre ses lettres de noblesse au militantisme qui a tendance à être délaissé ?
De nouveaux défis et des réflexions instructives ont été soulevées lors de l’intervention de Laurent Nicolas et Fanny Conesa. L’importance du ciblage, la formation des militants, l’innovation des campagnes électorales sont des enjeux en terme de stratégie de communication pour les futurs diplômés du master.

Justine Rouan
Justine Rouan
Titulaire d'une Licence de lettres et de communication, Justine a intégré en septembre 2014 le Master de Communication Politique et Publique en France et en Europe, afin de devenir responsable de la communication au sein d'associations ou d'ONG culturelles ou environnementales.