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« EMOTIVE » : un programme pour mesurer les sentiments de l’opinion publique via Twitter

Avec l’explosion d’Internet et de l’utilisation des réseaux sociaux dans le monde, il est devenu extrêmement facile et habituel d’exprimer son opinion ou de faire partager sa réaction à propos de certains sujets ou événements (personnels ou publics) en temps réel. Le milliard d’utilisateurs de Facebook[1] et les 250 millions d’utilisateurs mensuels de Twitter[2] produisent chaque jour une quantité d’informations impressionnantes via leurs publications sur leurs comptes. Si les tweets sur la pluie et le beau temps paraissent avoir peu d’intérêt, d’autres données peuvent au contraire avoir une certaine valeur informationnelle. Une équipe de chercheurs du Centre de la Gestion de l’Information de Loughborough en Angleterre a voulu trouver un moyen d’analyser au mieux cette profusion d’informations créées par les utilisateurs de réseaux sociaux, et plus particulièrement Twitter. De cette recherche est né le programme informatique nommé « EMOTIVE ».

  • Connaitre les sentiments des utilisateurs

« EMOTIVE », qui signifie « Extracting the Meaning of Terse Information in a Geo-Visualisation of Emotion », est un programme qui, d’après ses créateurs, peut analyser près de 2,000 tweets à la seconde et en déduire les émotions exprimées. En se basant sur certains mots-clés contenus dans ces tweets, il se charge de les classer dans huit catégories d’émotions différentes : colère, dégoût, peur,  joie, tristesse, surprise, honte et confusion.[3] Le but du logiciel est de créer une carte géographique des émotions, afin de donner une idée de « l’humeur » d’un pays et de savoir quels sont les sujets et les évènements le plus souvent mentionnés dans les tweets. Le système peut également se concentrer sur un évènement en particulier et obtenir l’évolution des sentiments du public à son égard. A la tête de l’équipe de chercheurs se trouve Tom Jackson, le directeur du Centre de la Gestion de l’Information de Loughborough au Royaume-Uni[4]. Selon lui, l’analyse de tweets est un moyen efficace de connaître les sentiments des gens et de l’opinion publique en général.[5]

twitter image

  • Un outil pour gérer l’opinion publique

Grâce à EMOTIVE, il est possible de savoir comment les gens réagissent à des événements tels qu’une catastrophe naturelle ou un acte criminel. Ce programme serait également utile pour les autorités nationales d’un pays : connaître l’opinion publique leur permettrait de savoir si une intervention est nécessaire pour calmer la population ou éclaircir la situation en cas d’évènements imprévus qui affecteraient le pays. En analysant l’humeur nationale via Twitter, il serait également possible de prévenir de possibles manifestations de violence telles que les émeutes qui ont lieu en Angleterre en 2011. Pour rappel, le réseau social Twitter avait été accusé, notamment par des responsables politiques, d’avoir joué un rôle majeur dans l’organisation de ces événements, car beaucoup d’informations sur l’évolution du soulèvement avaient circulé via les tweets et retweets des utilisateurs[6]. En repérant les endroits où les tweets expriment de la colère, il serait éventuellement possible pour les autorités d’intervenir dans ces zones afin de prévenir ou contenir tout déchaînement de violence.

  • Un outil qui contribuerait au bon fonctionnement de la démocratie ?

En 2010, une équipe de chercheurs basée en Chine avait déjà mené une analyse des émotions de la population mais cette fois-ci à partir du réseau social chinois Weibo, en séparant les publications en quatre catégories : colère, tristesse, joie et dégoût. Entre autres, les résultats de cette étude démontraient que la plupart des publications concernaient les problèmes sociaux ou diplomatiques du pays.[7]

Dans le futur, ce logiciel pourrait également se révéler intéressant pour le gouvernement d’un pays. Il deviendrait effectivement possible de connaître et évaluer en direct la réaction du public face à l’annonce d’une décision prise ou d’une réforme adoptée par l’Etat. A long terme, une analyse des tweets de la population concernant des sujets sociaux ou politiques pourrait éventuellement aider un gouvernement à se concentrer sur les problèmes qui semblent le plus affecter l’opinion publique.

Ce programme soulève cependant plusieurs interrogations. Environ 500 millions de tweets sont envoyés par jour[8], mais combien sont vraiment pertinents ? Twitter est une plateforme sur laquelle ses utilisateurs peuvent tout partager, ce qui les mène souvent à rendre publiques des informations qui n’ont pourtant pas de réel intérêt public. De plus, les opinions et les sentiments exprimés sur un réseau social ne sont pas forcément représentatifs de toute une population. Tous les citoyens d’un pays ne sont pas inscrits sur Twitter, et de ce fait une opinion extrêmement répandue sur le réseau ne veut pas dire qu’elle est partagée par la grande majorité de la population.

Un autre problème serait le phénomène de viralité sur Twitter, causé tout paticulièrement par l’usage des hashtags. Dans de nombreux cas, les utilisateurs tweetent sur certains sujets uniquement parce que les autres le font. D’autre part, il n’est pas rare de voir des utilisateurs inclure certains hashtags « populaires » dans leurs tweets uniquement dans le but d’augmenter leur visibilité sur le réseau social. Dans les deux cas, l’événement ou le sujet mentionné n’est pas à l’origine une vraie préoccupation de l’utilisateur. Il faut également prendre en compte le système même de Twitter. Il offre la possibilité de réagir en direct à des évènements, ce qui mènerait peut-être les utilisateurs à ne pas faire preuve d’assez de recul par rapport aux sujets et aux événements dont ils font mention. En conséquence, les tweets sont parfois plus de simples réactions émotionnelles que des opinions rationnelles et réfléchies qui pourraient être utiles au débat public.

Pour l’instant, le programme n’est en mesure d’analyser que les tweets provenant du Royaume-Uni, mais l’équipe de chercheurs est actuellement à la recherche de fonds pour développer EMOTIVE à l’échelle mondiale.

Laurine Gauthierot