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« Las Fallas » de Valence, quand l'art est au service de la politique…

Célébré chaque année à Valence, à la mi-mars, « Las Fallas » font partie des 25 000 fêtes (chiffre recensé par le guide touristique Le Routard) ayant lieues en Espagne. Cet événement, aujourd’hui incontournable, puise son origine dans la célébration de San José, saint patron des charpentiers.

Durant une semaine entière, les habitants – ainsi que les touristes venus de toute l’Espagne et d’ailleurs – vivent au rythme des mascletás (ces rafales de pétards au bruit assourdissant) et des nombreux feux d’artifices, défilés, bals et concerts organisés dans la ville. Le 15 mars, date phare de la fête, marque le moment tant attendu de découvrir les fallas : ces immenses statues, satires politiques et sociales, construites à partir de matériaux combustibles. Après une année entière de labeur, chaque comité de voisinage est enfin autorisé à exposer son œuvre et le public est alors convié à se perdre dans les rues de Valence pour admirer ces créations éphémères, pouvant atteindre jusqu’à vingt mètres de haut. Enfin le 19 mars, dernier jour des festivités, chacune de ces immenses sculptures est réduite à l’état de cendre lors d’un immense bûcher. Seule une falla, élue par le jury, est alors sauvée pour rejoindre les éditions précédentes au musée des Fallas et permet à son équipe de falleros (artistes réalisant ces œuvres) de remporter le premier prix du concours.

Au départ simple fête populaire, Las Fallas de Valence ont gagné en popularité au point d’être reconnues « Fêtes d’intérêt touristique international » et 2ème fête populaire d’Europe après la Fête de la bière de Munich. Aujourd’hui, cet évènement ne manque pas d’attrait pour les entreprises qui veulent gagner en visibilité. Parmi les sponsors des équipes de falleros, il y avait cette année : Ford, Coca-Cola, Amstel, Nestlé ou encore El Corte Inglés.

Mais la renommée de cette étrange manifestation culturelle intéresse également la mairie de Valence qui n’a pas hésité, cette année encore, à investir pas moins de 1 527 157,71 euros[1] pour la subvention de ces monuments éphémères et l’illumination des rues. Malgré la situation économique du pays – et plus particulièrement de la communauté autonome de Valence, endettée à plus de 20 milliards d’euros – la municipalité s’est engagée à financer cette fête alors que pour beaucoup cette somme peut s’apparenter à du gaspillage, au regard de la conjoncture économique actuelle. Alors pourquoi un tel choix ? Quelles sont les raisons qui poussent la ville à subventionner cet événement ?

Per que cremem les falles? Inès Chikhaoui

 
Une lutte de pouvoir entre gouvernants et gouvernés

A l’origine simple rite populaire durant lequel chaque charpentier se débarrassait de tous les objets inutiles de son atelier et brûlait ses éclairages d’hiver pour l’arrivée du printemps, Las Fallas se sont transformées, au fil du 19ème siècle, en moyen d’expression de l’opinion publique. Les Valenciens se sont amusés à récupérer leurs encombrants pour réaliser des  statues aux allures humaines, statues faisant allusion à des évènements locaux ou nationaux et représentant leur vision critique de la société. Une prise de parole populaire qui n’était pas sans déplaire aux élus, qui perdaient petit à petit de leur crédibilité.

Devant la perte de contrôle de son image, la mairie décida, dans un premier temps, de réagir de manière répressive. Un droit de censure, par le biais d’un impôt, a été mis en place afin de dissuader l’installation de ces géants de papier dans les rues. Cependant, les autorités se sont aperçues qu’il n’était pas si simple de faire taire les critiques, puisque celles-ci resurgirent par l’intermédiaire de la presse, autre organe critique du pouvoir.

Une autre stratégie a donc été envisagée : celle de s’investir directement dans cette célébration et avoir une mainmise dans la production de cette opinion publique défavorable. La censure ayant été levée, un concours a été mis en place avec une récompense à la clé, offerte à la meilleure réalisation.

Cette stratégie fut payante puisqu’elle engendra un retournement total de la situation.  Initialement en position de faiblesse, craintifs face à ce mouvement populaire vu comme une potentielle menace à l’ordre public, les élus ont repris le contrôle de leur image par le biais de ce concours. En effet, les artistes falleros se sont vus contraints de répondre aux critères donnés par ceux-ci pour remporter le prix. Ainsi la mairie privilégia le distingué du vulgaire, l’élégant du grossier ou encore le culturel du rural. Des critères qui ont profondément modifié les fallas et leur essence de satire sociale. Réduisant ainsi ces œuvres à une dimension purement esthétique et politiquement correcte, profitable au pouvoir en place.

L’implication de la municipalité dans cet évènement a donc été, en premier lieu, l’histoire d’une lutte de pouvoir où celle-ci en est ressortie vainqueur. Aujourd’hui d’autres paramètres sont entrés en jeu, notamment celui de la mondialisation, et la subvention de la mairie n’a plus seulement pour objectif de renforcer son pouvoir.

 Las fallas3, Inès Chikhaoui
 
Du contrôle de l’opinion au rayonnement du territoire
Cette récupération politique, en plus d’être un instrument de contrôle de l’opinion publique, a eu pour second effet de véhiculer une image moderne de la ville.

Si beaucoup de territoires, notamment en France, ne se sont intéressés au marketing territorial qu’à partir des années 1980, dans un contexte de désindustrialisation, la ville de Valence au contraire a été pionnière en la matière.

Dès le 20ème siècle, les élus valenciens ont compris qu’il était important de se soucier de l’image de leur ville. L’industrialisation ayant engendré une toute nouvelle organisation de la société, ainsi que de nouvelles valeurs telles que la compétitivité ou encore l’esthétisme, il fut nécessaire d’influencer les mœurs et fêtes populaires renvoyant une image rurale de la ville. La célébration de Las Fallas constitue en cela un bon exemple. En effet, l’introduction des prix par la mairie et les critères d’exigibilité soumis aux participants ont transformé, au fur et à mesure, cette célébration en un événement d’envergure. Notamment, lorsque des artistes professionnels se sont associés aux comités de voisinage organisateurs. L’esthétisme imposé par les élus et le surpassement des artistes réalisant des œuvres toujours plus imposantes a permis de rompre avec l’image pré-industrielle de la ville populaire et rurale.

La force de cette stratégie politique a été de modifier cette célébration, de sorte que celle-ci soit attrayante et renvoie l’image d’une ville créative et dynamique, tout en conservant l’enthousiasme et l’implication de la population, mais surtout l’identité du territoire. Les pouvoirs publics ont su moderniser cet événement sans qu’il ne perde son caractère authentique.

Aujourd’hui, festival jouissant d’une forte notoriété, Las Fallas confèrent au territoire de Valence un rayonnement sur la scène nationale et internationale. Cette année encore, plus d’un million de spectateurs ont répondu présent et de nombreux médias ont couvert l’événement.

A l’aune de la société contemporaine dans laquelle nous vivons, la création et/ou le développement d’évènements tel que celui-ci sont devenus une nécessité pour les villes-territoires, devenues de véritables « marques ». Si auparavant, les territoires (quartiers, villes, régions, pays…) s’affrontaient au sens propre du terme par des guerres de conquête, aujourd’hui nous sommes face à une lutte beaucoup plus symbolique passant par le marketing territorial et la communication. Une course à l’image d’autant plus intense depuis la mondialisation, les territoires ne devant plus seulement se faire une place sur la scène nationale, mais aussi sur la scène internationale. Dans ce contexte, Valence se doit de rester compétitive face à ses rivales nationales (Madrid et Barcelone) ainsi que les autres capitales européennes telles que Paris, Londres ou encore Berlin.

Inès Chikhaoui


[1]    Chiffres issus de la page web de la mairie de Valence : http://www.ayto-valencia.es/valencia/noticias/NOTICIA_031280?lang=1&seccion=5&temId=4&nivel=5_2_4
Crédits photo : Inès Chikhaoui
Inès Chikhaoui
Inès Chikhaoui
Etudiante en Master 1 puis Master 2 (2014-2015).