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Crise de la communication : la pilule, une liberté chèrement payée

« Ces vies brisées par la pilule »[1] : c’est en ces termes dramatiques que Le Monde amorce le tollé médiatique  au sujet des pilules contraceptives de 3ème et 4ème générations le 14 décembre 2012. Une jeune femme de 25 ans porte plainte contre le laboratoire pharmaceutique Bayer à la suite d’un AVC l’ayant rendu handicapée à 65 %. Les articles s’accumulent et la panique commence à gagner…
… les cinq millions de Françaises sous pilule, dont 50 % utilisant les contraceptifs incriminés de 3ème et 4ème générations[2]. Face à ce traitement médiatique, le gouvernement doit avant tout rassurer les citoyennes et délimiter la population réellement susceptible d’être victime des effets néfastes de ces contraceptifs. Mais la réaction du Ministère de la Santé et les explications se font attendre : il est vrai que pour la ministre de la Santé Marisol Touraine, il est particulièrement délicat de remettre en question un des symboles de la liberté des femmes (quand bien même il ne s’agirait uniquement que d’une catégorie de pilule, détournée de son usage initial), âprement défendue par la gauche durant les années 1970 (notamment avec le « Manifeste des 343 »[3]).
La communication est donc délicate, face à des Françaises de plus en plus troublées et des médecins parfois eux-mêmes décontenancés face à l’ampleur du phénomène médiatique. La ministre décide alors d’avancer la date de déremboursement de ces contraceptifs du 30 septembre 2013 au 31 mars[4],la suspension de la pilule  Diane 35[5] et la saisie des instances européennes[6].  Ces décisions prises dans l’urgence, ne s’accompagnant d’aucune démarche pédagogique, ne répondent pas aux angoisses des femmes mais au contraire, augmentent l’inquiétude et nourrissent la suspicion à l’égard des moyens de contraception.
Cette communication hésitante est un problème récurrent dans le domaine de la santé, corollaire bien souvent à une peur de l’intrusion dans la vie privée des citoyens.Ce fût notamment le cas lors de la campagne de l’été 2006, l’Etat préconisant des gestes et des attitudes ayant un impact direct dans la vie quotidienne de la population (boire suffisamment, surveiller les plus fragiles..). Le citoyen peut effectivement se sentir surveillé, voire infantilisé par des campagnes de communication relatives à des choix individuels touchant au domaine sensible de la santé (boire beaucoup d’eau, se faire dépister/vacciner, se laver les mains[7]… Pourtant, l’Etat doit trouver un équilibre, et protéger, du moins informer dans le cas de la pilule, les femmes sur les risques du médicament tout comme les médecins et les instituts de pharmacovigilance.
Face aux inquiétudes des Françaises, le gouvernement tente de mettre en place une communication de crise mais est confronté à ses propres dissensions au sein de la majorité, notamment avec le député Gérard Bapt qui fût le premier à demander un retrait immédiat des pilules concernées sur le marché[8], alors que la Ministre hésitait encore sur les actions à entreprendre. Ce manque de cohérence n’est néanmoins pas la plus grande cause du marasme communicationnel de ces dernières semaines qui serait davantage imputable aux décisions tardives du gouvernement. Les premières réactions sont en effet celles des professionnels de la santé, appelant à une meilleure régulation[9], ou encore à l’agence du médicament elle-même, qui prend les devants pour rassurer sur les contrôles effectués sur ces pilules[10]. Ces données auraient dû en toute logique être diffusées dans un premier temps par le ministère de la Santé, qui choisit assez tardivement de confier à une entreprise privée de Nancy[11] la gestion d’un numéro vert effectif au 17 janvier. Il faudra attendre une semaine de plus pour que le gouvernement ouvre une plate-forme téléphonique officielle, au sein de laquelle 50 conseillers ont répondu à plus de 6000 appels dès les premiers jours…encadrés par un seul médecin.[12]
Le gouvernement insiste néanmoins sur la nécessité de continuer une contraception,pour éviter toute situation dramatique semblable au « pill scare » anglo-saxon de 1995[13]. Pour cela, la Ministre a décidé de prendre la parole le 11 janvier (un mois après le début du chaos médiatique), en indiquant les actions futures : une prescription plus personnalisée, un arrêt de l’attribution systématique des pilules de 3ème et 4ème générations aux jeunes femmes, une campagne d’information auprès des médecins… Mais aucune réponse aux interrogations des femmes utilisatrices, mis à part le « conseil » devenu leitmotiv, de ne céder à aucun affolement[14].
 
En parallèle des inquiétudes des citoyennes, la politique de contraception est un sujet délicat dans la classe politique (notamment lors des débats sur la gratuité de la pilule dès 2011[15] )  mais aussi au sein des professionnels, qui ont pour certains souvent critiqué la politique de l’Etat en matière de santé, avançant des chiffres allant jusqu’à 15milliards d’€ de gâchis[16]. Il semblerait néanmoins que l’affaire des pilules 3G-4G cause d’abord une perte de confiance de la part des Françaises ainsi qu’une mise en doute de la capacité de l’Etat français à informer convenablement[17] et jette désormais le doute sur l’innocuitéd’un grand nombre de médicaments[18].
Cependant, la gestion approximative de la communication lors d’une crise pharmaceutique ou sanitaire n’est pas l’apanage du gouvernement en place. Les Français et l’opposition ont d’ailleurs été particulièrement critiques envers l’ancienne ministre de la Santé Roselyne Bachelot lors de la campagne contre la grippe A en 2010[19]. Au contraire de l’actuelle communication de Marisol Touraine, accusée de n’être pas assez claire et active, il semblerait que la campagne de communication et « l’emballement médiatique »[20] de 2010 aient eux aussi laissé les citoyens insatisfaits.
Ces critiques à l’encontre du gouvernement illustrent parfaitement la contradiction inhérente à la communication de crise dans le domaine de la santé publique. L’affaire pharmaceutique est dans un premier temps reprise par tous les médias (avec souvent un discours du pathos au détriment d’articles scientifiques), qui font rapidement enfler le sentiment d’insécurité et la panique auprès des citoyens concernés. Le gouvernement doit alors trouver des réponses rapides et efficaces pour contrer les inquiétudes mais un problème sanitaire ne peut être réglé aussi rapidement que l’exige la médiatisation et l’opinion publique : des études plus poussées sont effectivement nécessaire pour confirmer les solutions qui impacteront sur le long terme (prescriptions, avis médicaux…). Les actions sont donc effectives bien plus tardivement que la fièvre collective au sein des médias, et une réponse rapide, bien que nécessaire pour calmer les angoisses des citoyens, ne s’avèrera certainement pas la plus efficace sur le long terme. La communication de crise, fondée sur la rapidité, est donc en totale opposition avec un problème de santé publique, requérant un laps de temps relativement long pour être enrayé ; il semblerait alors que le gouvernement soit aujourd’hui aux prises avec cette contradiction.
 
Fanny Vidal
Étudiante en master 1 de communication publique et politique



[1]http://www.lemonde.fr/sante/article/2012/12/14/ces-vies-brisees-par-la-pilule_1806522_1651302.html
[2]http://www.gouvernement.fr/gouvernement/des-mesures-pour-encadrer-la-prescription-des-pilules-contraceptives#fnref:1
[3]http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20071127.OBS7018/le-manifeste-des-343-salopes-paru-dans-le-nouvel-obs-en-1971.html
[4]http://www.liberation.fr/societe/2013/01/02/le-deremboursement-des-pilules-de-troisieme-generation-avance-a-fin-mars_871248
[5]http://www.huffingtonpost.fr/2013/01/30/diane-35-agence-du-medicament-suspend-la-vente-de-la-pilule_n_2579935.html?utm_hp_ref=france
[6]http://www.lemonde.fr/sante/article/2013/01/31/l-agence-europeenne-du-medicament-va-reexaminer-le-dossier-de-la-pilule-diane-35_1825420_1651302.html
[7]http://www.dailymotion.com/video/xa9bpn_inpes-mouchoir-55s-140809v2_lifestyle#.URPs_fKqGO4
[8]http://www.lamarseillaise.fr/decryptages/la-delivrance-dune-pilule-est-celle-dun-medicament-29421.html
[9]http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/01/31/pilule-arretons-la-surenchere-et-passons-a-l-action_1825702_1650684.html
[10]http://www.franceinfo.fr/societe/une-ligne-d-appel-pour-informer-sur-les-pilules-863437-2013-01-17
 
[12]http://www.huffingtonpost.fr/2013/01/30/diane-35-3e-et-4e-generation-ministre-marisol-touraine-active-femmes-inquietent-pilules-dangereuses_n_2581430.html
[13]http://www.independent.co.uk/news/pill-scare-led-to-rise-in-pregnant-under16s-1149893.html
[14]http://www.gouvernement.fr/gouvernement/des-mesures-pour-encadrer-la-prescription-des-pilules-contraceptives#fnref:1
[15]http://sante.lefigaro.fr/actualite/2011/11/13/15792-pilule-anonyme-gratuite-revient-debat
[16]http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20120912.OBS2058/philippe-even-l-entreprise-medicale-menace-la-sante.html
[17]http://www.lejdd.fr/Politique/Actualite/Pilule-la-delicate-communication-du-gouvernement-588576
[18]http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20120912.OBS2058/philippe-even-l-entreprise-medicale-menace-la-sante.html
[19]http://www.liberation.fr/societe/0101613498-grippe-a-non-bachelot-ne-regrette-rien
[20]http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/campagne-vaccination-contre-grippe-h1n1-resultats-decevants.html
Fanny Vidal
Fanny Vidal
Etudiante en M1, Promo 2012 - 2013