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Les contradictions du Mouvement 5 étoiles (M5S)

Compte rendu de deux articles de recherche : « Le Mouvement 5 étoiles : une réponse 2.0 à la crise de la démocratie représentative », Revue internationale et stratégique, n° 106, 2017, p. 111-120 et « Quand la politique tire la langue. Le VaffaDay du M5S (Movimento 5 Stelle) », Mots. Les langages du politique, n° 106, 2014, p. 87-103. Ces deux articles, dus respectivement à Mattia Zulianello et Laura Santone, analysent et explorent les dynamiques liées à la naissance et au développement du parti politique italien du Mouvement 5 étoiles, fondé en 2009 par le comique satirique et acteur Giuseppe Piero Grillo (Beppe Grillo) avec l’aide de l’expert en communication informatique Gianroberto Casaleggio.

visuel du Mouvement 5 étoiles

L’analyse du premier article adopte une perspective politique et sociale liée aux relations internationales, le deuxième article en revanche utilise une analyse linguistique qui s’inscrit dans une perspective interdisciplinaire, à la croisée des sciences du langage et des sciences de l’information et de la communication. Malgré ces deux approches différentes, on constate dans les deux textes des points communs : la mise en évidence de contradictions internes observées dans la structure et la communication du parti.

La première contradiction porte sur le fait que le Mouvement 5 étoiles s’est toujours présenté comme un parti non idéologique et antisystème. Dès que Beppe Grillo a présenté le M5S, il a toujours bien souligné que le parti « refuse les étiquettes de ʺdroiteʺ et de ʺgaucheʺ et qu’il se positionne comme en dehors de l’espace politique traditionnel, cherchant à apparaître comme un acteur non idéologique. […] Le but en effet était celui de se présenter comme une organisation antisystème, qui se fait porte-parole d’une exigence de changement radicale de la vie politique italienne. »[1] Dans cette perspective le M5S a toujours montré sa volonté de ne pas coopérer avec les partis italiens préexistants qui sont définis par Beppe Grillo comme « une ʺcasteʺ corrompue et non démocratique, ayant pour seul but de maintenir les rentes de position et les privilèges qui découlent des charges du pouvoir. » Face à cette critique radicale de la représentation politique et des politiciens italiens, le mouvement propose une nouvelle démocratie sans intermédiaire, centrée sur la participation des citoyens. Par conséquent le M5S se pose comme promoteur d’une vraie révolution politique qui a pour but d’éradiquer tous les partis italiens. Mais la réalité est très lointaine de son idéologie de départ : aux élections générales de 2018 le M5S est arrivé en tête, toutefois il a été obligé d’accepter une coalition avec la Ligue du Nord – parti italien d’extrême droite – pour former un nouveau gouvernement. Cette attitude consistant à se situer en dehors de la politique est un échec, parce que pour pouvoir gouverner, le Mouvement 5 étoiles a dû se plier aux règles politiques qu’il voulait détruire, et entrer dans un système dont il s’excluait.

La deuxième incohérence port sur le rôle joué par internet. Tout d’abord le M5S est né avec le blog beppegrillo.it, où le comédien italien avait commencé à écrire des textes satiriques et des commentaires critiques sur la politique italienne, en particulière sur les partis traditionnels au pouvoir. Mais peu de gens savent qu’au début de sa carrière de comique il était contre internet et les nouvelles technologies. Dans son article, quand elle présente la figure de Beppe Grillo, Laura Santone écrit « Alors qu’en 2000, il diabolisait les ordinateurs et les nouvelles technologies, Grillo se convertit au Web dans les années suivantes. »

Là où au début de sa carrière il diabolisait internet comme un ʺinstrument du malʺ, qui vise à détruire la vie de l’homme, quelques années après il considère le web comme le seul moyen pour l’expression d’une démocratie directe. Dans un extrait d’un spectacle que Beppe Grillo a diffusé en 2000 sur la chaîne de télévision « Tele+ », le comique affirme : « Derrière le web il y a rien ! Internet devait être un système démocratique pour nous faire travailler moins. Les personnes travaillent 5 heures en plus par semaine. Une technologie incroyable, qui t’achète et te vend. Derrière internet il y a rien ! Il y a les magasins et les camions. Il y a rien derrière cette technologie. »[2]

Le Mouvement 5 étoiles se présente comme un parti révolutionnaire et antisystème, qui va contre les règles des partis traditionnels, et qui veut se différencier pour montrer aux citoyen.ne.s sa transparence. Mais si d’un côté il veut être considéré comme « un parti pirate »[3] qui repose sur le web et adepte d’une démocratie égalitaire, d’un autre côté la personne de Beppe Grillo, leader charismatique et porte-voix du parti, empêche le M5S d’être effectivement un parti indépendant et libre de contraintes de la politique traditionnelle. Mattia Zulianello écrit : « Par certains de ses aspects, une telle approche organisationnelle est similaire à celle des partis pirates, acteurs apparus sur le Web et exerçant une grande partie de leur action politique en utilisant les nouvelles technologies. […] Même s’il présente quelques similitudes avec les partis pirates, sur l’e-democracy, et avec les Indignados, pour l’accent mis sur la participation, il diffère sensiblement de ceux-ci par la forte centralisation organisationnelle dont dispose son leader charismatique et par ses propositions programmatiques. »

La dernière contradiction du Mouvement 5 étoiles repose sur les modalités de communication de Beppe Grillo. La transparence et la sincérité du parti sont exprimées par Beppe Grillo à travers un langage vulgaire marqué par la polémique : « L’effet de cumul anaphorique d’expressions obscènes qui en ressort – ci pigliano per il culo, essere preso per il culo, farmi inculare – met déjà en scène le paradigme d’une rhétorique virulente, où le médium – le Web –, en favorisant la polémique, l’emporte sur toute forme de débat en tant que forme d’interaction dialectique orientée par une question. » Les interventions de Beppe Grillo, qui s’installent dans une logique du ʺparler vraiʺ, appartiennent toujours au registre critique et à la disqualification des adversaires. Ce mode d’expression ne peut pas être considéré comme une vraie forme de communication, parce que Grillo ne donne jamais aux adversaires la possibilité ni de répondre ni de réagir :

« Version bémolisée de “vaffanculo”, que les dictionnaires répertorient à l’unanimité comme “expression injurieuse adressée à ceux qui nous dérangent, qui nous ennuient, pour qu’ils s’en aillent”, cette abréviation fait office de ciment identitaire parmi les adeptes de Grillo. Elle se configure comme le “logo” d’une stratégie de disqualification ad personam des adversaires, frontalement attaqués et ridiculisés, comme on le verra, sous l’angle des passions et par la force du clamor en tant que dispositif d’alimentation de pathos négatif. »

Donc la rhétorique du Vaffanculo devient la principale forme d’expression du comédien, qui a réussi à l’importer dans l’espace public en la présentant comme une manière légitime de critiquer la politique italienne. Mais la politique de Beppe Grillo est vide, ses discours sont souvent privés d’argumentation et ils ne visent jamais à donner une solution concrète aux problèmes qu’il met en lumière. Laura Santoni écrit :

« Le modus operandi est toujours le même : monter sur la scène et déclencher les passions en utilisant la blague comme arme de la polémique la plus exacerbée. […] derrière le vaffa et la manière de nommer inscrite dans ses tournures polémiques, il n’y a aucune visée argumentative, il n’y a ni un opposant ni un tiers, mais uniquement un format et un visage : Beppe Grillo. »

Beppe Grillo veut être le porte-voix d’une nouvelle démocratie, fondée sur l’égalité et la transparence, mais sa vision est très contradictoire : si d’un côté il veut révolutionner la politique en la rendant accessible à tous, de l’autre côté son langage manifeste tout sauf une communication équitable. Grillo utilise

« une langue qui ne dit plus, mais qui tranche net la parole en tant que logos, et qui vise à ʺsolidifier en grimaces durablesʺ sa grâce, en faisant appel au destinataire et à ses passions pour l’amuser et le réduire au silence. […] Le vaffa, apparemment tourné vers la masse allocutaire, résonne verticalement sous les traits, habilement occultés par l’ingrédient comique, d’un mot d’ordre tranchant net toute forme d’argumentation et toute ligne de partage communicationnelle entre Grillo, la multitude de ses fidèles et la classe politique italienne. »

Dans deux perspectives différentes, ces articles nous montrent l’un et l’autre les contradictions sur lesquelles se fonde le M5S. Un parti qui a été créé par un comique à l’aide d’internet, qu’il critiquait au début de sa carrière ; un parti qui veut se présenter comme antisystème mais qui est obligé de respecter les contraintes qu’il veut détruire ; et au final un parti qui veut être porte-voix d’une démocratie directe et paritaire mais qui ne donne pas la parole à ses adversaires.

Ilaria BERSANI
Università degli Studi di Milano, étudiante Erasmus de la promotion 2018-2019 du Master


[1] Beppe Grillo, cité par Pietro Raffa, 2012 : http://pietroraffa.com/2012/12/07/quando-beppe-grillo-inveiva-contro-il-web/.
[2] « Dietro internet non c’è più niente. Internet doveva essere un sistema democratico per farci lavorare di meno. La gente lavora 5 ore a settimana in più. Una tecnologia incredibile, che ti compra e ti vende. […] Dietro internet non c’è nulla! Ci sono i magazzini e i camion. Non c’è niente dietro questa tecnologia. », propos reproduits par Pietro Raffa, 2012 : http://pietroraffa.com/2012/12/07/quando-beppe-grillo-inveiva-contro-il-web/.
[3] Le Parti pirate tel qu’il se présente lui-même : « Le Parti Pirate est un mouvement politique international ralliant celles et ceux qui aspirent à une société capable de : partager fraternellement les savoirs culturels et scientifiques de l’humanité ; protéger l’égalité des droits des citoyennes grâce des institutions humaines et transparentes ; défendre les libertés fondamentales sur Internet comme dans la vie quotidienne. […] Ainsi, face aux systèmes politiques et économiques actuels, dépassés par la révolution numérique, le Parti Pirate constitue une nouvelle aventure humaine pour construire et apporter une réponse politique aux aspirations des citoyens pour un monde réellement libre, juste et solidaire. » (https://partipirate.org)