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Ed Miliband : le nouveau visage du Labour party pour les prochaines élections britanniques

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Crédits photo : Getty Images /The Telegraph

En mai prochain, la Grande-Bretagne sera en pleines élections législatives : celles-ci détermineront le prochain gouvernement et le nouveau Premier ministre. Les observateurs de la vie publique analysent déjà ces élections, au cours desquelles s’affronteront notamment David Cameron pour le Conservative party et Ed Miliband pour le Labour Party, comme les plus indécises depuis dix ans. Malgré la présence de quatorze partis en concurrence, l’élection semble jouée d’avance entre les leaders des deux grands partis. Le résultat de stratégies croisées de communication, qui contribuent à faire et défaire l’image des candidats.

Alors que Cameron est Premier ministre depuis cinq ans, Ed Miliband a été élu à la tête de l’opposition travailliste en septembre 2010. Cependant, ce dernier reste aujourd’hui controversé non seulement en dehors de son parti mais en son sein. Pour comprendre cela, il est important de revenir quelques années en arrière.

« Britain deserves better » [A]

Suite à une longue « traversée du désert », le Labour Party voit arriver à sa tête Tony Blair en 1994 : celui-ci va transformer ce parti de l’intérieur, en effectuant notamment un recentrage sur l’échiquier politique. C’est le fameux programme de « la troisième voie » inspiré des travaux du sociologue Anthony Giddens. (1) Ce New Labour remporte les élections en 1997 et Tony Blair devient alors Premier ministre de la Grande-Bretagne, avant d’être réélu à ce poste en 2005. Mais suite à sa décision controversée d’envoyer ses troupes en Irak aux côtés des Américains et le scandale des « Cash for Honours » [B], il démissionne en 2007 et laisse la place à Gordon Brown. En 2010, les conservateurs remportent les élections et David Cameron devient alors Premier ministre.

Au cours des années, le Labour party a vu se constituer en son sein le « gang de Primrose Hill » : il s’agit d’un regroupement informel de la nouvelle génération du parti où l’on va notamment retrouver David et Ed Miliband. Le nom « gang de Primrose Hill » renvoie au fait que les deux frères Miliband  ont grandi à Primrose Hill, un quartier de Londres, et que les réunions de ce groupe se tenaient habituellement dans l’ancienne maison familiale que possède aujourd’hui David.

Deux frères pour un parti

Ces deux frères sont originaires de Londres et ont, tous deux, étudié la philosophie, les sciences politiques et l’économie à l’université d’Oxford. David Miliband poursuit alors sa scolarité aux États-Unis : il y obtient un diplôme de sciences politiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1990. Ed Miliband continue, lui, ses études à la London School of Economics (LSE).

Alors que David entame rapidement une carrière politique en entrant à l’Institute for Public Policy Research (IPPR) comme analyste politique, Ed entame quant à lui une carrière de journaliste à la télévision. Il abandonne le journalisme pour devenir rédacteur de discours et chercheur, notamment auprès de Gordon Brown. Ce dernier le désignera conseiller spécial et responsable de la rédaction de ses discours en 1997, lors de sa nomination comme Chancelier de l’Échiquier [C].

David Miliband devient rapidement conseiller, en 1994, mais d’un autre homme important du parti travailliste : Tony Blair. Il est l’un des principaux rédacteurs du programme des travaillistes pour les élections de 1997 et devient responsable de la Policy Unit au 10 Downing Street après la victoire.

Tous deux sont promus à des postes importants dans les gouvernements de Blair et de Brown. David est nommé, entre autre, secrétaire d’État aux affaires étrangères et Ed devient secrétaire d’État au changement climatique. C’est la première fois depuis 1938 que deux frères siègent ensemble au conseil des ministres. Ils en démissionnent à la suite de la défaite aux législatives de 2010.

Chacun a donc poursuit sa carrière aux côtés de deux hommes qui s’opposent au sein du parti travailliste. En effet, on retrouve souvent, notamment dans la presse, une opposition entre le « blairisme » et le « brownisme ». La différence est en réalité minime : par exemple, Blair méprise les syndicats contrairement à Brown. (2) Elle concerne essentiellement l’histoire interne du parti. En effet, à la mort du leader du Labour, John Smith, en 1994, un désaccord survient entre les deux hommes sur sa succession : alors que Brown attend la fin des obsèques pour faire campagne, ce n’est pas le cas de Tony Blair qui prend alors énormément d’avance et gagne les élections. (3)

Ainsi, pour les élections du leader du parti, en 2010, les deux frères se retrouvent face à face, tous deux soutenus par deux anciens leaders du parti. (4) David Miliband, durant toute la campagne, est donné comme le grand favori de ces élections. C’est finalement le second frère qui l’emporte avec une très légère majorité des voix : Ed Miliband obtient 50,65% des voix contre 49,35% pour son frère. (5)

Cependant, malgré cette victoire et son nouveau statut de leader du Labour party, Ed Miliband rencontre différentes oppositions, certaines dans son propre camp.

Ed Miliband, le mal aimé

Tout d’abord, malgré un léger avantage donné pour le parti aux prochaines élections, Ed Miliband est loin de faire l’unanimité auprès de la population : d’après un sondage, près de deux Britanniques sur trois et environ 44% des électeurs du parti « ne l’aiment pas ». Un certain nombre électeurs le qualifient même de « terne », « confus, « hésitant ». (6)

De plus, aux yeux d’une partie de la population et de ses ennemis politiques, Ed Miliband manque grandement de crédibilité en tant que Premier ministre. Ces adversaires et ses alliés semblent en accord sur ce point, et consacrent une part importante de leur stratégie de communication contre Miliband : contrairement à son frère, il manquerait cruellement de charisme. Ainsi, certains membres du parti remettent en question l’élection de 2010 qui s’est révélée très serrée, et qui aurait permis, si l’issue avait été différente, d’avoir une personnalité plus forte et plus à même de faire face à David Cameron.

Une autre raison pourrait être avancée : dans sa volonté de se distinguer de Tony Blair, Ed Miliband communique beaucoup moins. Ses alliés et adversaires ont souvent reproché à Tony Blair de trop communiquer et de trop faire appel à des « spin-doctors » : Bill Clinton lui avait conseillé de « ne jamais cesser de communiquer » (« Never stop communicating« ) – un conseil qu’il appliquera à la lettre. Mais, aujourd’hui, Miliband se refuse à faire de même, laissant ainsi ses adversaires politiques dominer l’agenda médiatique. (7)

Ensuite, David Cameron et les « tories » (les conservateurs) sont perçus, dans les milieux conservateurs, comme ceux ayant permis de remettre la Grande-Bretagne sur le chemin de la reprise économique grâce à une politique d’austérité. Au contraire, Ed Miliband, et les travaillistes en général, peinent à obtenir la confiance de la population en matière de politique économique et sont plus populaires pour leur politique sociale en mettant des sujets comme le National Health Service ou l’augmentation des salaires au cœur de leur programme. (8)

De plus, il est également critiqué au sein de son parti pour la nouvelle politique menée : il lui est reproché de s’éloigner progressivement de « la troisième voie » de Tony Blair pour se rediriger vers la gauche, perdant ainsi une part de l’électorat qui avait permis la victoire en 1997.

Ses adversaires ne manquent pas à l’appel et tentent également de le discréditer par différentes stratégies de communication, notamment en pointant du doigt cette tendance à être plus à gauche que ses prédécesseurs. Par exemple, ils rappellent fréquemment que son père, Ralph Miliband, est un grand auteur marxiste. Ils l’ont même surnommé « Ed le Rouge » pour qualifier cette tendance à revenir vers l’aile gauche de son parti. (9) Malgré ses nombreuses interventions où il se défend de tout virage à gauche, Ed Miliband a du mal à convaincre les électeurs et les militants sur ce sujet. Pour nombre d’entre eux, certaines de ses idées comme l’adoption du mariage homosexuel ou la réduction des frais de scolarité, constitueraient autant de preuves de ce virage.

Du fait de ce manque de popularité et de la perception d’un virage à gauche, Ed Miliband est donc fortement contesté au sein même de son parti : pour certains, ces élections sont vues comme une grande opportunité de reprendre le pouvoir et voient dans Ed Miliband une menace pour parvenir à cet objectif. (10) Plusieurs députés seraient même allés jusqu’à demander officiellement à David Watts, le président du groupe parlementaire, le départ de Miliband pour les prochaines élections. (11) Un élu du parti a confié au quotidien conservateur Daily Telegraph : « Nous sommes descendus en dessous de 29 % dans les sondages. Il va nous coûter des voix aux élections. Les gens nous disent : “Vous faites du bon travail mais nous n’aimons pas votre leader”. (12)

Pourtant un certain nombre d’analyses soulignent le caractère très incertain de cette élection : le défaut de popularité du leader du Labour party ne serait donc qu’un détail face à la crise et la politique d’austérité menée par David Cameron. Le contexte actuel a vu émerger des gouvernements de gauche dans un certain nombre de pays d’Europe La Grande-Bretagne sera-t-elle le prochain pays sur la liste ? Réponse le 7 mai 2015 !

[A] Slogan utilise par les travaillistes pour les élections de 1997

[B] Plusieurs personnes auraient été proposées par Tony Blair pour devenir membres de la Chambre des Lords en échange de dons ou de prêts au parti
[C] Il s’agit du ministre chargé des finances et du trésor et deuxième fonction la plus importante dans le gouvernement après le Premier ministre.
(1)        http://news.bbc.co.uk/1/hi/458626.stm
(2)        JONES Nicholas, « Brownistes vs. Blairites – the full story », BBC News, septembre 2006, http://news.bbc.co.uk/1/hi/uk_politics/5323960.stm
(3)        MACKENZIE Suzie, « Will he ? Won’t he ? », The Guardian, septembre 2004, http://www.theguardian.com/politics/2004/sep/25/interviews.labourconference
(4)        Dépêche AFP, « Labour : Ed Miliband face à son frère », Le Figaro, mai 2010, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/05/15/97001-20100515FILWWW00448-labour-ed-miliband-face-a-son-frere.php
(5)        « Grande-Bretagne : Ed Miliband élu à la tête du parti travailliste », Nouvel Observateur, septembre 2010, http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20100925.OBS0361/grande-bretagne-ed-miliband-elu-a-la-tete-du-parti-travailliste.html
(6)        BERNARD Philippe, « Royaume-Uni : Ed Miliband en quête de crédibilité », Le Monde, septembre 2014, http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/09/24/ed-miliband-en-quete-de-credibilite_4493297_3214.html
(7)        PRICE Lance, « Ed Miliband is so scared of becoming Tony Blair he has forgotten how communicate », The Independent, septembre 2014, http://www.independent.co.uk/voices/comment/ed-miliband-is-so-scared-of-becoming-tony-blair-he-has-forgotten-how-to-communicate-9748613.html
(8)        DELESALLE-STOLPER Sonia, « Royaume-Uni : Ed Miliband rêve de récolter les fruits de son labour », Libération,  janvier 2015, http://www.liberation.fr/monde/2015/01/13/royaume-uni-miliband-reve-de-recolter-les-fruits-de-son-labour_1180019
(9)        BURNELL Emma, « Just how red is Ed Miliband ? », The Guardian, décembre 2014, http://www.theguardian.com/commentisfree/2014/dec/16/miliband-red-ed-john-prescott-labour-leader
(10)     WINTOUR Patrick, « Ed Miliband faces Labour leadership crisis », The Guardian, novembre 2014, http://www.theguardian.com/politics/2014/nov/06/ed-miliband-faces-labour-leadership-crisis
(11)     BERNARD Philippe, « A six mois des élections Ed Miliband est contesté à la tête du Labour », Le Monde, novembre 2014, http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/11/07/a-six-mois-des-elections-ed-miliband-est-conteste-a-la-tete-du-labour_4520040_3214.html
(12)     SWINFORD Steven, « Ed Miliband must go, say Labour MPs », The Telegraph, novembre 2014, http://www.telegraph.co.uk/news/politics/ed-miliband/11213653/Labour-MPs-say-Ed-Miliband-must-go.html
 
 
 
Sabrina Weber-Gloaguen
Sabrina Weber-Gloaguen
Après l'obtention de sa licence en communication, Sabrina a intégré le Master Communication politique et publique en France et en Europe de l'UPEC (promotion 2014-2015) dans le but de devenir attachée de presse en politique.