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Etude du genre : what is wrong with us?

En février dernier, l’institut Civitas s’indignait du choix de programmation du film français Tomboy  sur la chaîne ARTE. L’histoire de cette petite fille, Laure, qui souhaite se faire passer pour un garçon dans son nouveau quartier, a fortement déplu au groupe ultra-catholique. Et pour cause, ce film traite de la construction de l’identité sexuée et sexuelle dans la société, de la construction du « genre », mot qu’on a beaucoup entendu sans trop savoir ce que cela impliquait – et qui déplaît fortement à Civitas et aux veilleurs de la Manif Pour Tous.

Je passe actuellement mon second semestre à l’université Anglia Ruskin de Cambridge, dans le cadre du programme Erasmus et j’assiste depuis le mois de janvier à un cours intitulé «Media, Gender and culture ». En somme, l’étude du genre, qui s’est développée aux Etats-Unis dans les années 1960 en parallèle du féminisme (dont Simone de Beauvoir – entre autres auteures – s’est faite la théoricienne avec son essai « Le deuxième sexe » [1]). Afin de clarifier le concept du « genre » je reprendrai la définition proposée par Laure Bereni et ses co-auteurs[2], qui le présentent ainsi : « système de bicatégorisation hiérarchisé entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin). (…) Le genre désigne le système qui produit une bipartition hiérarchisée entre hommes et femmes, et les sexes renvoient aux groupes et catégories produites par ce système ».
Ce cours a donc pour but de sensibiliser les étudiants en Information et Communication à l’image de « la femme » véhiculée dans la société, sa représentation dans les médias et la manière dont ces derniers construisent des stéréotypes jusqu’à leur normalisation. Tout cela ramené aux théories d’auteurs qui se sont eux-mêmes interrogés sur le genre et la construction du féminin et du masculin au fil des siècles (on retrouvera parmi les pionniers John Money – à l’initiative de la célèbre réattribution sexuelle réalisée sur David Reimer – Robert Stroller ou encore Ann Oakley[3]). Dans les universités anglo-saxonnes, l’étude du genre (‘gender studies’) se décline dans presque toutes les matières : médias, sociologie, droit, politique. Chaque discipline s’interroge à travers son champ d’étude sur la place du genre de manière théorique et concrète. Les nombreux auteurs anglo-saxons qui ont porté leur pierre à l’édifice de l’étude du genre et l’enseignement donné dans les universités depuis les années 1980 expliquent peut-être que les anglais ont dépassé la confusion sur le terme de genre depuis longtemps et sont peut-être moins accrochés à la binarité des catégories de sexe.
Il suffit de se promener à Londres pour croiser dans les rues des hommes et des femmes à la silhouette androgyne qui jouent avec l’ambiguïté de l’image qu’ils renvoient, sans que cela ne choque personne, sauf peut-être les touristes.  Une acceptation qui a poussé Facebook à introduire le mois dernier les termes « transsexuel » et « intersexuel » dans sa version anglaise, pour que ses utilisateurs se définissent autrement que par « homme » ou « femme », ainsi que la possibilité de se faire appeler par le pronom plus neutre « it » (ce) et non plus par « he » (il) ou « she » (elle). Le réseau social, qui dit avoir travaillé avec des associations LGBT pour effectuer ce changement mentionne tout de même que même si le projet d’élargissement de cette option est envisagé, rien d’autre ne sera fait pour le moment. Et pour cause, au même moment où les internautes anglais avaient une nouvelle façon de se « définir », les français eux s’offusquaient encore sur des livres pour enfants supposés évoquer le sujet.

 
De l’étude à la théorie du genre

La polémique autour de la notion de « genre » a été portée en France par les manifestants de la Manif pour tous, qui protestaient l’an dernier contre le mariage homosexuel qui allait selon eux imposer la « théorie du genre ». Ce terme erroné de « théorie du genre » (qui renvoie à l’idée fausse d’une supposée « conspiration du genre ») est une invention de ses détracteurs pour décrédibiliser « l’étude du genre ».

La loi maintenant votée depuis le printemps dernier, il fallait bien que les opposants au projet trouvent un nouveau cheval de bataille. En jouant sur la peur du chamboulement d’un système éducatif plutôt stable (on ne parlera pas ici des réformes des rythmes scolaires), ce groupe de mécontents, qui rassemble les formations d’extrême-droite comme « Egalité et réconciliation » mené par Alain Soral, la sphère catholique traditionnaliste tel que CIVITAS ou bien des politiques de l’UMP, n’aura cessé d’user de ruses pour délivrer dans les médias des contre-vérités (constamment réfutées, preuves à l’appui.) En février dernier par exemple, les « anti-gender » brandissaient ainsi un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé datant de 2008 (et récemment mis sur le devant de la scène en raison de la traduction du texte espagnol en français par une institution suisse) qui serait selon eux « un abrégé de corruption de mineurs inspiré par la théorie du genre » qui encouragerait les crèches et les écoles à promouvoir la masturbation infantile. Bien sûr, en y regardant de plus près, rien de cela n’était vrai. Le document rappelait seulement que la sexualité des enfants est différente de celle des adultes et que par conséquent, les interrogations naturelles formulées par les jeunes enfants (dont la masturbation) doivent être traitées par des discours différenciés au cours des différents stades du développement.

 
Interrogation sur une telle peur

Evoqué avec mon professeur et les étudiants de mon cours de « Contemporary Television » (qui porte sur la télévision à l’ère du numérique), à l’occasion de l’étude d’un texte sur la construction de l’hétérosexualité dans les programmes de télé-crochet (tel que The Voice), la situation française que j’ai brièvement dépeint en a surpris plus d’un. « J’ai l’impression que nous sommes bien plus acceptant » a déclaré un élève. Alors que le télé-crochet étudié ce jour-là mettait justement en scène un jeune chanteur androgyne, certains élèves ayant eu vent des manifestations françaises se sont étonnés de la « violence » des protestations. Rappelons qu’en Angleterre, les couples de même sexe peuvent se marier et adopter des enfants depuis le mois de juillet 2013 (ils disposaient avant de presque l’ensemble de ces droits à travers le Civil Partnership) – loi qui a été adopté dans un climat beaucoup plus serein qu’en France. Pourtant l’Angleterre est un pays religieux, de confession protestante, alors que la France est un pays laïc ; et la pression d’entités religieuses ne devrait pas interférer avec le rôle que l’Etat s’est donné dans l’éducation des enfants. C’est surement en cela que l’ABCD de l’égalité, qui vise à déconstruire le normatif pour prôner l’égalité homme-femme, déplait à ces groupes.

Au final, une question se pose : la France souffre-t-elle d’un manque de connaissance sur l’étude du genre, contrairement à l’Angleterre – ce qui expliquerait la facilité avec laquelle les rumeurs sur une « théorie du genre » enseignée à l’école se sont répandues ? Un meilleur enseignement de l’étude du genre dans les universités de l’hexagone serait-il la solution ? Ou bien toutes ces contestations se sont-elles que l’expression d’un malaise social d’une France qui se divise entre modernité et traditionalisme ?

Mehdi Trabelsi


[1] De Beauvoir, S. 1949. Le Deuxième Sexe. Paris : Gallimard.
[2] Bereni, L., Jaunait, S., Revillard, A. 2012. Introduction aux études sur le genre. Bruxelles : De Boeck, Coll. Ouvertures politiques, p. 10.
[3] Oakley, Ann. 1972. Sex, Gender and Society. London: Temple Smith.
Crédits photo : https://libcom.org/library/communization-abolition-gender