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Russie-UE : une communication en manque d’énergie ?

Le 4 mars dernier, Vladimir Poutine est élu sans surprise dès le premier tour de scrutin avec près de 64% des voix, à la présidence de la Fédération de Russie. Il remplacera l’actuel Président Dimitri Medvedev. Quelles seront les relations diplomatiques entre la Russie et l’Union Européenne après l’investiture de Vladimir Poutine le 7 mai 2012?
Malgré la volonté de modernisation de Dimitri Medvedev, les relations entre l’Union européenne et la Russie n’ont guère progressé, comme en témoigne notamment le faible résultat du dernier Sommet Union européenne-Russie de décembre 2011.
Or, si l’Union européenne veut jouer un rôle accru sur la scène internationale et devenir une puissance dans la mondialisation, elle se doit de renforcer ses relations avec la Russie, de manière à pouvoir rivaliser avec les Etats-Unis et les autres puissances émergentes, comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Compte tenu de l’interdépendance entre l’Union européenne et la Russie, qui représente son plus grand voisin et son principal fournisseur d’hydrocarbures, l’Union Européenne devra faire des efforts quant à sa communication à l’égard de la Russie mais aussi des autres pays émergents.
L’Europe, quel numéro de téléphone pour les Russes? 
Un certain embarras était palpable dans les capitales occidentales au lendemain de la victoire de Vladimir Poutine dès le premier tour de l’élection présidentielle. Les Occidentaux ont réagi prudemment à l’élection annoncée de Vladimir Poutine à la présidence russe, pointant les irrégularités dénoncées par l’OSCE (Le Point) mais dont l’ampleur ne remet pas en cause selon eux le résultat, alors que les alliés de Moscou félicitaient le président élu. L’Union européenne a « pris note » de la « nette victoire » de l’ex et futur président russe, dans un communiqué du chef de la diplomatie européenne. Catherine Ashton a déclaré que « L’UE prend note des résultats provisoires de l’élection présidentielle et de la nette victoire de Vladimir Poutine […] des manquements et des irrégularités dans la préparation et la conduite de ces élections et que les électeurs avaient un choix limité. L’UE encourage la Russie à remédier à ces manquements. ». Mais, face à ce communiqué de presse plutôt distant dans le procédé de communication, on a pu remarquer une différence flagrante dans la réaction de certains Etats européen tels que l’Allemagne et la France. En effet, la Chancelière Angela Merkel a appelé Vladimir Poutine « pour lui souhaiter du succès dans son prochain mandat, du succès avant tout dans les défis que la Russie doit relever », a indiqué son porte-parole, en rappelant que « l’Allemagne et la Russie sont des partenaires stratégiques » (Le Figaro). De son côté, le président de la République Nicolas Sarkozy a écrit une lettre à Vladimir Poutine pour lui adresser ses félicitations et ses « plus sincères » encouragements. « Au lendemain de votre élection à la présidence de la Fédération de Russie, je tiens à vous adresser toutes mes félicitations et mes vœux pour la Russie et le peuple russe » a écrit Nicolas Sarkozy. Plus amicalement, l’ex-président du Conseil italien Silvio Berlusconi s’est rendu en personne en Russie pour un « somptueux dîner » privé avec Vladimir Poutine (Le Figaro). Par ailleurs, dans un ton tout à fait différent, David Cameron, qui a indiqué avoir « hâte » de travailler avec Vladimir Poutine, en évoquant « la Syrie et le besoin d’une action internationale unie pour mettre un terme à la violence et éviter une détérioration de la situation ». Dans cet exercice de communication a priori délicat pour les chefs d’Etats européen, on peut lire à la fois une certaine carence et une division au niveau de la communication diplomatique entre Moscou et Bruxelles, en dépit du communiqué de presse très mesuré de Madame Ashton. Par ailleurs, on notera le silence du Président de Commission Européenne José Manuel Barroso et du Président du Conseil Européen Herman Von Rompuy.
UE à la recherche d’une communication diplomatique 
Dans ses relations diplomatiques avec l’Union Européenne, la Russie privilégie une communication bilatérale avec quelques États membres. Elle a plutôt tendance à assimiler l’UE à un assemblage hétéroclite de pays avec lesquels il faut travailler de manière bilatérale, plutôt qu’un ensemble cohérent capable de mener de vraies négociations. C’est notamment pourquoi la Russie entretient des liaisons très étroites avec l’Allemagne et la France qui représentent deux alliés de taille pour Moscou au sein des pays membres de l’Union Européenne. Au-delà des échanges économiques très importants entre ces trois pays, une véritable amitié culturelle s’est renforcée au cours de cette dernière décennie entre les dirigeants respectifs de ces pays. À l’inverse, des conflits et des désaccords divers empoisonnent les relations russo-européennes et il faut se demander s’il existe un authentique partenariat, fût-il conflictuel, entre ces deux acteurs par nature hétérogènes. C’est actuellement le cas avec le problème de la taxe carbone européenne face à laquelle La Russie dit réfléchir à une restriction de survol de la Sibérie par les compagnies européennes (Le Point). De même, avant l’annonce des résultats officiels de l’élection présidentielle russe, le Premier Ministre Vladimir Poutine avait déjà déclaré que la Communauté des Etats Indépendants (CEI) était une priorité absolue de la politique étrangère de la Russie (Rianovosti).
Par ailleurs, il existe un profond désaccord au niveau de la communication diplomatique européenne. Le 9 mars dernier, la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton fut critiquée par la France et la Grande-Bretagne par rapport à ses services. (Le Nouvel Observateur) Dans une lettre adressée à Madame Ashton, le chef de la diplomatie française, Alain Juppé a estimé « qu’une affirmation forte de l’Europe sur la scène mondiale exige d’accroître la cohérence et l’efficacité de l’action extérieure de l’UE.»
Plusieurs procédés pour un même message
Entre le communiqué de presse « stricte » de madame Ashton et la visite purement amicale de l’ancien Président du Conseil Italien Silvio Berlusconi, réside une symbolique en termes de communication. D’un côté il y a ceux qui n’affichent aucun doute par rapport à l’élection de Vladimir Poutine (Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, Silvio Berlusconi), d’un autre côté il y a ceux qui sont plutôt modérés dans leur message de félicitation à Vladimir Poutine, mettant en avant les problèmes de fraudes et le cas Syrien (Catherine Ashton et David Cameron) En effet, Catherine Ashton et David Cameron ont soigneusement choisi leur mots pour réagir à la victoire de Vladimir Poutine. Tous les deux utilisent des communiqués de presse dans lesquels ils évoquent notamment les fraudes annoncées par l’OSCE et la position de Moscou par rapport au dossier Syrien. Ce type de procédé marque une à la fois une certaine mesure et une certaine distance entre les auteurs et le destinataire. Par ailleurs, la lettre de Nicolas Sarkozy adressée à Vladimir Poutine, prend une allure beaucoup plus solennelle. « Nos deux pays entretiennent, dans le droit fil de l’amitié pluriséculaire franco-russe, des liens étroits à leur bénéfice mutuel. J’attache la plus grande importance à ce partenariat et à notre dialogue qui doit conduire à des relations bilatérales plus denses et à une relation de plus en plus forte avec l’Union européenne. » Le « coup de fil » de la chancelière marque aussi une proximité dans les rapports entre la Russie et l’Allemagne. Il y a en effet ce à la fois ce côté informel et privé. Enfin, il y a la grande amitié entre Vladimir Poutine et Silvio Berlusconi. La visite à Moscou de Berlusconi témoigne des liens forts qui existent entre les deux hommes. Rappelons que Vladimir Poutine a toujours soutenu Silvio Berlusconi notamment durant ses problèmes avec la justice italienne (Le Figaro).
Quoiqu’il en soit, ces hésitations n’entraîneront pas de modification substantielle des relations UE-Russie. La victoire de Poutine est nette, malgré les conditions dans lesquelles se sont déroulées les élections. L’Union Européenne a encore des efforts à fournir afin d’apporter une énergie nouvelle à sa communication diplomatique. Enfin, Vladimir Poutine incarne indiscutablement la Russie, cependant sera-t-il aussi apprécié que son futur Premier Ministre, Dimitri Medvedev, au regard des Occidentaux ?
Sylvio Compper